Análisis lacaniano
  L' épopée de Patricio
 

                                              L’ épopée de Patricio

 

                                              A propos de l´ objet phobique

 

 

Eric Moreau
Valparaiso
eric.moreaupauly@laposte.net

 

 

 

Freud,  dans son article L´Inquiétante étrangeté (1919) présente une étude sur l´angoisse qui lui permet de faire progresser la clinique à partir de l´analyse de la peur que la pensée magique suscite. Il s’  agit d’  un type de peur particulier à savoir la peur de la mort qui émane  de menaces proférées par des êtres surnaturels. Cette angoisse liée à la magie correspond à un moment originaire de la structure en tant que premier temps logique de  la constitution du sujet. Son importance structurale renvoie à l´originaire comme première formation psychique dans le processus d´humanisation du sujet. Freud a localisé ce moment comme temps du refoulement primaire, moment soutenu par l´activité pulsionnelle qui permet de constituer un espace psychique différencié entre le monde intérieur et le monde extérieur.

Paradoxalement donc, la genèse de la structure en ce premier temps de la naissance du sujet, se constitue à partir de la peur de la mort. Autrement dit la mort se manifeste dans le psychisme humain au commencement de la vie psychique et cela est particulièrement observable dans la clinique des enfants. La représentation de la mort serait incluse dés le début du développement de l´enfant comme force pulsionnelle constitutive du sujet.

Dans ce même article, Freud nous indique que ce phénomène est également repérable en anthropologie , discipline qui nous montre qu´il existe dans toute civilisation une étape animiste dans son développement culturel et dont ses représentations sont des démons qui tentent de réintégrer le monde des vivants. Ces êtres surnaturels sont des doubles, des fantômes, des apparitions, des esprits, des monstres animés par des intentions obscures qui exercent leur influence par un mouvement de réapparition dans le monde des êtres  humains. Cette présence permanente d´êtres surnaturels sur terre caractérise les cultures des peuples originaires où la pensée animiste repose sur la toute puissance de la pensée, la superstition, la réalisation magique des désirs.

Mais la pensée magique n´est pas non plus étrangère à l´homme contemporain. En effet dans le cabinet du psychanalyste les analysants lui confient quotidiennement leurs pensées irrationnelles, leurs croyances, leurs obsessions et leurs angoisses. Certaines angoisses chez les enfants sont cliniquement repérables comme phobies toutes particulières provoquées par des figures magiques, fantastiques et terrifiantes. A vrai dire la réalité psychique a peu à voir avec la réalité objective, elle est tissée de mythes et de fantasmes, de fables et de romans traversés par le désir inconscient.

Dans ce travail nous allons mettre l´accent sur la pensée magique dans la clinique de la phobie afin d’ en caractériser son objet c’ est à dire l’ objet phobique. Nous analyserons le discours d´un enfant dont nous avons conduit la cure. Au psychanalyste, les enfants racontent leurs peurs, leurs angoisses en particulier celle  de la nuit ou de la solitude,  la peur des esprits, des fantômes, des monstres qui viennent les visiter et les inviter à les suivre dans le monde des ténèbres.

1.      La dimension du Réel dans la phobie.

Les phobies infantiles transmettent fréquemment des contenus où il est question de possession diabolique, de cannibalisme, de vampirisme. C’est dans ce contexte symptomatique que j’ai rencontré Patricio, un enfant de onze ans. Patricio est en sixième, il est bon élève . Le motif de la consultation est lié aux peurs nocturnes, à l’ angoisse, et à de multiples phobies. L’ angoisse y est  particulièrement intense durant la nuit, provoque une insomnie importante accompagnée d’ un état de fatigue permanent. Patricio est trés dépendant dans la relation avec ses parents et leur formule constammant des demandes, recherchant leur présence, ce qui a des conséquences quant à la restriction de son  independance sociale;  c’ est un enfant isolé qui vit enfermé dans sa maison et  qui ne joue plus avec les camarades de son âge. Il est le fils aîné de deux enfants. Au tours du premier entretien, son père me raconta une expérience affective qui l’ avait beaucoup touché et qui est à l’ origine du lien avec son fils. Au moment de la naissance de Patricio, son père l’ a regardé et s’ est vu à cet instant reflété en lui; il s’ est dit à lui-même : “C ’ est moi qui suis là!” à partir de cet instant un lien narcissique intense que nous qualifirons de Désir de l’ Autre s’ est établi entre père et fils. A notre sens ceci explique la réaction phobique chez cet enfant car la fonction de la phobie consiste à générer un mouvement séparation chez le sujet. La mère est  trés réservée, elle ne parle pas d’ elle-même dans les premiers entretiens, elle se limite à parler de la conduite de son fils.

Patricio raconte que durant la nuit, il ne peut pas rester seul car il a peur que ses parents disparaissent raptés par les OVNI. Il précise que les OVNI sont des extraterrestres qui veulent l’ absorber pour l’ étudier; parfois il voit des lumières ou des étoiles qui brillent dans le ciel et  pense qu’ elles peuvent être des OVNI ce qui explique qu’ il ne peut plus regarder le ciel.

Les peurs viennent surtout  au coucher ; dans son lit il ne peut que regarder vers le haut car s’ il regarde de coté il peut  apercevoir des êtres étranges comme des insectes bizarres, des martiens, des nécrophages et des morts- vivants; il s’ imagine qu’ un singe va l’ attaquer cela l’ oblige à rester éveillé toute la nuit  pour protéger sa vie. Il sent que parfois quelqu’ un le regarde dans le dos, que des yeux sortent des murs , l’ observent et lorsqu’ il se retourne, ils disparaissent. Quand tout est silencieux quelque chose peut apparaître, alors cela lui donne des frissons et il se réveille. Il a peur de Chouqui, le personnage diabolique des dessins animés. Il a peur d’ une poupée ventriloque qui bouge toute seule. Il a une poupée de porcelaine, qui le fixe du regard et il s’ imagine qu’ elle va bouger ou fermer les yeux . Autour de sa maison, la nuit, il entend le “chupa cabras” roder dans son jardin ; le “chupa cabras”  est la représentation populaire trés répendue au Chili d’ un type de vampire animal qui aspire le sang des chêvres, ses victimes qu’ il laisse exangues; mais ceux que Patricio entend la nuit dans son jardin sont vraiment géants ; quelques uns ont des ailes comme les chauves-souris.

Patricio a des cauchemards. Il rêve de dinosaures qui veulent l’ enlever et tout détruire ou qui peuvent le tuer d’ un seul coup de griffes. Ils se rapprochent de lui, lui caressent le cou avec leurs griffes; sa vie est suspendue à un seul coup de patte de cet animal ; les dinosaures se moquent de lui, incendient la ville et détruisent tout sur leur passage.

Un autre cauchemard raconte le suicide d’ une fille qui s’ est jetée par la fenêtre de son appartement et dont son fantôme revient hanter sa chambre en dansant, en tournant  et en criant sans arrêt,  faisant peur au père de cette fille qui assiste paralysé par la terreur  au retour du fantôme de sa fille.

 

2 . “ Hunheimlich” : une étange angoisse.

 

Freud pose l’ hypothèse que la pensée magique chez le sujet, dont ce cas clinique en est une illustration,  correspond à un premier temps de sa structure et puise sa source dans la pensée animiste des peuples originaires.

La clinique infantile a conduit Freud à s’ intéresser à ce type particulier d’ angoisse liée à la magie, à la relation avec les morts, à  la sorcelerie, à la toute puissance de la pensée, aux  repésentations du double. Tous ces phénomènes transforment l’ angoisse en un sentiment d’ inquiétante étrangeté qui génére la peur. Freud l’ a dénommé  “ Hunheimlich”, c’ est à dire ce qui prive ou se retire de la tendre ambiance du foyer maternel. La paisible vie familière se lésarde soudain laissant apparaitre une étrange menace, brisant la  tranquille sécurité installée par le lien maternel. En d’ autres termes  ce qui était le plus rassurant et le plus connu dans notre environnement habituel se transforme soudain en une ambiance hostile laissant pointer de claires intentions  menaçantes pour la vie du sujet. Un danger de mort surgit au sein même de notre propre demeure comme par exemple le sentiment de la présence de fantômes, la peur du retour des morts, l’ apparition des esprits.

 

3.       Le refoulement originaire.

 

Selon Freud , l’ inquiétante étrangeté  provient  du retour de quelque chose qui a été refoulé  anterieurement. Mais le refoulé n’ est pas quelque chose de nouveau ou d’ inconnu mais au contraire quelque chose de familier, qui se transforme en étrangeté par le procesus de refoulement. Ce qui aurait du rester dans l’ ombre apparait au grand jour sous la forme d’ une représentation démoniaque.

 

Ce qui est expulsé dans le réel c’ est le Désir de l’ Autre. Ce qui est rejeté c’ est le lieu de l’ objet phallique que le sujet aurait dû occuper dans l’ Autre. A partir de ce rejet la signification phallique va investir tout l’ espace exterieur redoublant la réalité d’ un monde magique parallèle. Ce refoulement originaire établit une frontière entre le monde intéieur et le monde extérieur.

Pendant la cure, Patricio raconte ses peurs mais se faisant par l’ acte de narration il se  transforme  en  auteur de ses propres récits de terreur devenant par là le conteur de ses histoires fantastiques cessant d’ être une victime passive du désir létal des monstres , il modifie  sa position subjective, passant de l’ état de proie destinée à être dévorée à celui d’ un sujet actif  créateur  de ses propres histoires  ténébreuses. Comme le signale Lacan dans Le Séminaire, livre IV: La relation d’ objet à propos de la cure du petit Hans,  “ L’ enfant réagit en renforçant les éléments de sa propre formulation symbolique du problème; dans l’ analyse il s’ agit de faire évoluer ce schéma, de permettre à l’ enfant de développer ses significations pour qu’ il ne reste pas un petit phobique ; Il a pu commencer à parler, c’ est à dire à raconter ses contes. Donc c’ est logique, il peut jouer avec , c’ est à dire que l’ on peut se livrer à des échanges et faire des permutations avec des signifiants. C’ est le point de transformation initial. A partir de là, le rapport aux personnages change totalement et fait entrer son père dans le système symbolique et le manipule comme symbole.”

 

Au cours du processus anaytique les sujets des récits de Patricio changent; il intégre un thème épique. Ce sont des histoires du moyen-âge, où  surgissent des Celtes, des soldats écossais, incluant la légende du roi Arthur dans ses récits guerriers, créant des héros belliqueux auxquels il s’ identifie; ce sont des chevaliers qui se livrent des tournois et des combats dans lesquels Patricio participe luttant contre les méchants. Dans un rêve, il devait affronter un ennemi qui allait le déchiqueter, Patricio me dit  qu’ il avait comme unique arme, l’ épée en bois que son père lui avait fabriqué pour jouer aux soldats avec ses camarades.  Grâce à cette arme, tout de même fragile, mais qui portait la marque de fabrication de son père, l’épée a pu opérer comme le don symbolique paternel qu’ il transforme en un puissant attribut pour réussir à se soustraire à l’ emprise mortifère de l’ Autre. Grâce au don du père, Patricio réussit à vaincre son adversaire en le faisant tomber d’ une trés haute tour .

A partir du récit de cette dernière scène, les peurs commencèrent à diminuer  progressivement jusqu’ à disparaître complètement un mois plus tard .  L’  angoisse se faisait à chaque fois moins importante, les monstres ne sortaient plus du royaume des ténébres, maintenus à distance par le père symbolique qui dessinait un cercle de défense autour du sujet garantissant à Patricio un espace de sécurité dans son monde subjectif. L’ épée de bois représentait sur un mode métaforique un significant du  Nom du Père qui permettait de réduire le pouvoir maléfique du désir de l’ Autre et inaugurer la genèse du sujet parlant .

 

4 .  L’  objet phobique

 

Si Freud considère la fonction de la phobie comme analogue à la fonction du totem Lacan, quant à lui  reformule la conception freudienne en affirmant que l’ objet phobique a une fonction métaphorique qui vient remplacer le rôle du père qui a pu présenter quelque carence. Ainsi l’ objet de la phobie joue un rôle métaphorique de la dimension paternelle symbolique produisant de nombreuses significations qui feront fonction de suppléance dans le registre de l’ Imaginaire à ce qui a manqué au développement du sujet . L’ objet phobique est un signifiant brut qui vient de la culture. Le sujet le cherche dans un livre d’ images, à la télévision, dans la presse, dans les représentations sociales populaires ; Comme le dit Lacan: “ ce ne sont pas des images naturelles mais des images dessinées de la main de l’ homme, comportant tout un présupposé d’ histoire, au sens où l’ histoire est historiolée de mythes, de fragments de folklore. Le sujet choisit une forme afin de remplir la fonction de la stabilisation de l’ angoisse. ( le “Chupa cabras”  est une représentation populaire au Chili dont nous avons trouvé une correspondance dans l’ animal mythologique de l’ île de Chiloé, le “ Nirivilu” ).  C’ est une forme qui constitue un pivot autour de quoi s’ accroche tout ce qui vacille ; elle a un rôle d’ arrêt, de terme de l’ angoisse. Par ce fait il transforme cette angoisse sans limite en une peur localisée .  C’ est un point autour duquel le sujet peut continuer à faire tourner ce qui, autrement , se déclarerait dans une angoisse impossible à supporter.”

 

Dans l’ analyse il s’ agit de permettre à ce signifiant de jouer le rôle que lui a réservé l’ enfant dans la construction de sa névrose afin d’ assurer sa relation au symbolique, en le prenant comme secours et point de repère dans l’ ordre Symbolique. Ce signifiant est là en tant qu’ il correspond métaphoriquement au père.

 

 

Les objets dans la phobie sont des objets originaires et fondateurs des objets postérieurs. Dans la phobie l` objet est mis en fonction de signifiant.  L ‘ objet  de la phobie est toujours un signifiant. La phobie apparaît quand quelque chose manque et qui aurait dû jouer un rôle fondamental dans la relation de l` enfant à la mère. C’ est à dire que dans le complexe d’ Œdipe, la mère étant considérée par rapport au père, celui- ci apporte une dimension nouvelle à la relation mère enfant ; cette pièce qui manque c’ est l’ introduction de cet élément symbolique qui est le père symbolique, c’ est le nom du père. C’ est, dit Lacan: « une fonction à la fois fondamentale et problématique , qui peut à l’ occasion s’ affaiblir ou se fragmenter ». Le progrés que réalise Patricio  est un changement de position subjective qui consisterait à s’ approprier le signifiant de l’ épée de bois, en le mettant de son côté pour s’ en servir. Un fantasme meurtrier a pu se constituer.

 

Bibliographie

 

Freud S.    L ’ inquiétante étrangeté

Freud S.    La négation

Lacan J.    Le Séminaire , livre IV , La relation d’ objet, Seuil, 1994

 
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